Serpent Isle

En 1993, à peine un an après la sortie d’Ultima VII sort sa suite : Serpent Isle. Mais à la surprise générale le jeu n’est pas appelé Ultima VIII mais bel et bien “Ultima VII Part Two”. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’Ultima VII et Serpent Isle aurait du être un seul et même jeu, mais que par manque de temps, il durent être séparés en deux volets différents.

Techniquement cela n’a pas beaucoup changé depuis Ultima VII. Le moteur de jeu, tout comme l’interface, est globalement identique. Il y a tout de même quelques améliorations comme la présence de paperdolling pour l’inventaire, la possibilité d’avoir les noms de tous les PNJs quand on clique dessus, et un graphisme encore plus affiné – mais globalement les nouveautés de ce côté là sont assez minimes. Le système de combat est également identique au précédant volet, et toujours aussi moyen même somme toute il devient un peu plus plaisant de part le nombre réduit de compagnons. L’utilisation de tactiques différentes s’avère d’ailleurs indispensable à certains point du jeu que l’on fait en solo, surtout si l’on ne veut pas mourir. La magie est également identique au précédant volet mais se voit attribuée la possibilité (et même l’obligation) de retranscrire des parchemins sur son livre de sorts. De plus certains réactifs ne peuvent être trouvés que dans la nature.

Mais malgré tous ces points communs, Serpent Isle est en vérité extrêmement différent de son prédécesseur en suivant une philosophie de design radicalement opposée de celle d’Ultima VII. Alors qu’Ultima VII offrait une grande liberté et privilégiait l’interactivité et l’exploration, Serpent Isle préfère au contraire se contenter d’une liberté restreinte afin de privilégier le bon développement du scénario (et d’ailleurs même l’interactivité n’atteint pas tout à fait le niveau du précédant chapitre). En effet on se rend bien vite compte que la liberté de jeu dépend totalement de la progression dans l’histoire. Au début notamment, seul le sud du continent vous sera ouvert et il ne sera pas possible de progresser vers la partie nord de l’île tant que vous n’aurez pas fait tout ce que vous avez à faire dans le sud. Néanmoins cette liberté réduite ne rends pas le jeu linéaire pour autant car même si l’on est globalement confiné dans des “zones”, chaque quête à l’intérieur de celles-ci peuvent être réalisée dans l’ordre qu’on le souhaite. Mais il faudra attendre la moitié du jeu pour que la quasi-totalité de l’Isle Serpent vous soit finalement accessible.

Au premier abord, Serpent Isle semble aussi plus petit qu’Ultima VII mais en vérité en s’aperçoit rapidement que ce n’est pas le cas car même si l’Isle Serpent n’a pas autant de villes que Britannia, le continent en lui-même est quasiment de la même taille. De plus, alors que dans Ultima VII une grande partie de la carte était “réservée” à l’eau, les zones maritimes de la carte sont en fait utilisées pour créer toute une série de souterrains et de lieux du même genre. Cela empêche peut-être tout possibilité de voyage en bateau, et réduit malheureusement la liberté offerte au joueur, mais cela fait qu’au final Serpent Isle s’avère finalement aussi grand que son prédécesseur, et a l’avantage de proposer un meilleur design car Serpent Isle parvient ainsi à créer un équilibre parfait entre grandes villes, contrées sauvages et donjons.

On remarque par contre que contrairement à Ultima VII il y a assez peu de quêtes annexes, et de même bien moins d’exploration à effectuer. Mais la raison tient du fait que la plupart des évènements du jeu s’inscrivent plus ou moins dans la quête principale, qui vous amène à visiter la majeure partie du continent – ce qui la rend finalement très longue et difficile. Le nombre de PNJs est très important et ils sont tous aussi intéressants les uns que les autres. On notera également que l’interaction entre les personnages est bien plus poussée que dans Ultima VII. Peut-être est-ce du au retour de Warren Spector dans l’équipe (qui par ailleurs est sans doute responsable de la différence radicale du design de Serpent Isle par rapport à Ultma VII), mais on se rapproche beaucoup du niveau des Worlds of Ultima. Comme dans ces derniers, le nombre de compagnons est moindre, mais ils interviennent très souvent lors des conversations avec des dialogues pertinents et ne se contentent pas de servir de faire-valoir à l’Avatar puisqu’ils ont cette fois-ci un véritable rôle dans l’intrigue. Dans le même ordre d’idée, on remarquera que Serpent Isle propose très peu de narration durant les dialogues, et tâche dés que possible d’illustrer visuellement les évènements pouvant se dérouler au cours d’une conversation.

Sur le plan sonore, Serpent Isle est globalement identique au volet précédant. Toutes les musiques d’Ultima VII sont présentes – avec néanmoins un meilleur mixage – et le jeu offre en plus de nouvelles compositions toutes aussi magnifiques les unes que les autres. Au niveau des bruitages c’est toujours aussi réussi, et le jeu propose toujours des voix digitalisées. Bien entendu, Bill Johnson reprend son rôle du Gardien mais on notera également la présence de Richard Garriott qui incarne Lord British dans l’introduction, et outre ces personnages une voix fut également donnée aux trois Grands Serpents.

Le scénario pour finir est tout simplement magnifique. Proposant ce qui est sûrement l’une des histoires les plus brillamment écrite de toute l’histoire du CRPG, elle propose un monde fascinant qui est un grand plaisir à découvrir, et nous mène à la découverte des Ophidiens et de leurs Vertus. Totalement passionnant, le seul bémol vient du fait que sa seconde moitié ait du être bâclée par manque de temps. Mais pourtant en dépit de ce regrettable défaut, Serpent Isle est une pure merveille et sans nul doute le meilleur volet de la Saga.

Des problèmes pour faire fonctionner Serpent Isle sous Windows 95 ou 98 ?? Venez ici.

 

  • The Silver Seed

Notons que tout comme Ultima VII, Serpent Isle se vit doté d’un add-on nommé “The Silver Seed” qui propose de nouveaux lieux à explorer et de nouvelles quêtes à effectuer. Comme pour Ultima VII, il est possible de s’attaquer à la quête supplémentaire dès qu’on le désire même si un faible niveau entraînera souvent une mort certaine, car la difficulté est parfois extrême. Somme toute cet add-on est plutôt réussi et on appréciera notamment son scénario qui nous permet d’effectuer un retour au temps des Ophidiens. De plus, même s’il permet d’acquérir de puissants objets, il ne gâche pas le plaisir du jeu en rendant le personnage trop fort comme ce fut le cas dans Forge of Virtue. Un réel plaisir donc. Comme celui d’Ultima VII, cet add-on est inclus dans toutes les dernières éditions CD-Rom de Serpent Isle.

 

  • Note sur la Version Française

A noter que curieusement Serpent Isle ne fut jamais traduit en français, au contraire d’Ultima VII et VIII. Les raisons de cet oubli sont obscures, mais le moins que l’on puisse dire c’est que c’est très regrettable. Un groupe de fans néanmoins, a finalement remédié à ce problème dix ans plus tard en proposant en 2004 leur propre traduction du jeu sous la forme d’un patch pour Exult. Le résultat est de bonne facture – quoique perfectible – et on peut regretter que les dialogues n’aient pas été convertis en vieux français, mais cette traduction a la mérite de pouvoir enfin présenter Serpent Isle à un public anglophobe. Bravo.

 

  • Le Scénario Original

Certains seront peut-être surpris de l’apprendre, mais même si cela n’est pas aussi flagrant, Serpent Isle a déjà souffert en son temps d’un bâclage important au même titre qu’Ultima VIII&IX. Outre le fait que Serpent Isle devait à l’origine faire partie intégrante d’Ultima VII (qui lui aussi était sorti dans un état discutable au niveau des bugs – menant certains fans à accuser Origin de leur faire payer le bêta-test du jeu), le jeu final s’est vu amputé d’une grande partie de son scénario original, faisant que la seconde moitié du jeu n’est que l’ombre de ce qu’elle aurait dû être. La moitié du jeu est en effet marquée par un évènement d’importance : les Fléaux du Chaos prennent possessions de vos compagnons et déclenchent un véritable holocauste sur l’Isle Serpent, exterminant la quasi-totalité de sa population. L’effet est saisissant mais on remarque bien vite quelques problèmes alors que l’on progresse… Wilfred à Sleeping Bull ne réagit pas au meurtre de sa famille et des autres locataires de l’auberge, tandis qu’à Monitor, Harnna la seule survivante n’a absolument pas changé… en vérité seule Moonshade parait avoir une réaction cohérente avec les évènements ayant frappé l’île. La raison en est toute simple, pour des raisons de planning, le seconde moitié du scénario fut coupée et la fin du jeu bâclée.

Initialement en effet l’Holocauste n’aurait pas eu lieu. Chaque Fléau se serait rendu dans une des trois villes, et en aurait pris le contrôle, affectant les gens selon son “anti-vertu” (dans un concept qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler Ultima IX). A Moonshade, Shamino aurait fait régner l’anarchie faisant des mages de Moonshades des gens assoiffés de pouvoir et pratiquant ouvertement la magie interdite. A Monitor, Dupré aurait changé tous les habitants de la ville en leur animal totem, souvent hostiles mais ayant l’impression d’être enfin eux-mêmes. On ignore les détails pour Fawn, mais le concept aurait sans doute été similaire. Chaque ville aurait eu des histoires et des quêtes supplémentaires, et l’Avatar aurait finalement affronté chaque Fléau dans sa ville respective – ce qui signifie que le château du Dragon Blanc aurait très certainement eu un autre rôle dans l’histoire. D’autre idées ont également été coupées, comme Claw Isle, île au final permettant de tricher et uniquement accessible par des moyens détournés, qui aurait dû être une étape lors du retour à Monitor à partir de Moonshade. Même si tout cela ne diminue pas la qualité indéniable du jeu, on en vient tout de même à se demander ce qu’aurait pu être Serpent Isle si les développeurs avait pu réaliser le jeu tel qu’il avait été prévu.