Ultima IX

C’est finalement en Novembre 1999 que sort Ultima IX: Ascension après un développement long et controversé. Ce dernier chapitre de la série met fin à la Saga de l’Avatar et ce de façon définitive. Il s’agit également d’un véritable retour aux sources, car bien qu’étant la conclusion de la Saga du Gardien, Ultima IX renoue avec la trilogie précédente et les Vertus redeviennent le centre de l’histoire.

Techniquement parlant le jeu est tout simplement grandiose. Les graphismes sont tout bonnement superbes et l’ambiance fantastique. Les couleurs sont belles et éclatantes, les décors et les textures très détaillées, et les effets de lumière saisissants. Il faut voir le soleil se coucher tous les soirs, et les lunes apparaître dans le magnifique ciel étoilé. Les bruitages sont également magnifiques et participent grandement à l’ambiance du jeu. Constamment présents, ils offrent couplés avec les graphismes une atmosphère tout simplement magnifique, accrue encore par le magnifique design effectué par les développeurs.

Car on ne peut qu’être impressionné par le travail effectué par Origin pour le design de Britannia. Chaque ville possède un ton et une atmosphère particulière, avec un design différent de toutes les autres. La taille du jeu est énorme, et il y a beaucoup d’exploration à effectuer et de choses à découvrir, mais comme Ultima VII elle souffre d’un certain déséquilibre. Là où Ultima VII proposait des villes grandes et des contrées un peu “compressés”, dans Ultima IX ce serait un peu le contraire car cette fois-ci les villes apparaissent assez petites, et si leur taille reste globalement satisfaisante quelques unes comme Cove (qui se limite à une simple bâtisse) sont tellement petites que cela en devient presque embarrassant. Par contre on appréciera le retour de donjons dignes de ce nom qui possèdent tous une taille plaisante, ainsi qu’un design et un type d’énigme qui leur sont propres.

L’interface est dans l’ensemble très intuitive. Seul la nage posait un peu problème à la base mais cela a heureusement été corrigé au fil des patchs. Le fonctionnement est en fait très similaire à celui d’Ultima VII mais appliqué à la 3D et l’utilisation d’objets fonctionne par un clic simple au lieu d’un clic double. L’inventaire est sans doute le plus gros changement du jeu puisqu’il fonctionne par un système de slots dont le nombre est limité. Ce système n’est pas sans rappeler celui des Worlds of Ultima mais sans limite de poids et sans la possibilité de stocker ensemble un même type d’objet.

Les combats, bien que dans l’ensemble assez facile, sont sans doute parmi les plus funs de toute la série après les Underworlds. Proposant différents styles d’attaques selon les armes, ainsi que la possibilité de parer avec un bouclier ou de “locker” son adversaire, ils offrent ainsi beaucoup de possibilités. Et s’il est toujours possible de combattre en se contentant de “cliquer” le plus vite possible comme dans Ultima VIII, il est beaucoup plus gratifiant d’essayer d’éviter les attaques de l’adversaire et de rechercher le type d’armes ou de coup le plus approprié. On notera aussi que le développement du personnage est plutôt original pour un CRPG, puisqu’il n’y a pas de niveaux et que l’on progresse en avançant dans le scénario à chaque Shrine que l’on restaure. Les compétences de combat s’acquièrent quand à elle auprès d’entraîneurs repartis à travers le monde.

Le système de magie est une évolution des précédents, mêlant les livres de sorts d’Ultima VII aux pentagrammes d’Ultima VIII puisqu’il faut maintenant lier un sortilège à son livre de sort au terme d’un rituel utilisant un pentagramme (ce rituel est heureusement beaucoup plus facile que ceux d’Ultima VIII). Après cela, le sort est définitivement inscrit dans le livre et ne nécessite plus de réactifs. Avec huit cercles de magie basés sur les quatre éléments, on trouve de nombreux sorts même si comme toujours dans Ultima beaucoup sont d’une utilité discutable. En plus des huit cercles de magie on notera également la présence de quelques rituels que l’on peut effectuer, certains facultatifs, certains nécessaire.

Le scénario, bien qu’il soit loin d’atteindre la complexité d’un Serpent Isle, reste en tout cas des plus réussi. Le fait qu’il se concentre sur les Vertus, plus que sur la lutte contre le Gardien, rapproche encore Ultima IX de la trilogie précédente et en particulier d’Ultima IV. D’ailleurs, même le monde de Britannia tel qu’il est représenté est beaucoup plus proche de celui d’Ultima IV que d’Ultima VII, et c’est avec un sentiment de nostalgie que l’on parcoure le monde d’autant qu’un nombre très important d’éléments des précédents volets font leur retour dans cet ultime chapitre. On appréciera notamment le rôle surprenant donné aux compagnons (même si on aurait aimé les voir un peu plus) et le retour aux thématiques très fortes qui faisaient la qualité des précédents volets de la série. Par contre, on regrettera particulièrement le manque de soin apportés aux dialogues. Si le niveau d’écriture reste de bonne facture dans l’ensemble, il apparaît clairement qu’il manque un peu de peaufinage. Certaines lignes frisent carrément le ridicule – notamment celles de l’Avatar – et on ne peut s’empêcher de penser que cela aurait bien mieux rendu avec des dialogues plus soignés, d’autant que les personnages sont loin d’avoir le même nombre de lignes de dialogues que ceux d’un Serpent Isle.

On excusera également les quelques incohérences qui parsèment le jeu (monnaie courante dans l’histoire d’Ultima même si Ultima IX bat peut-être de records), mais on regrettera le fait qu’Ultima IX soit très avare en explications, laissant ainsi sans réponses certaines questions importantes et se payant même le luxe d’en poser de nouvelles. De plus on aurait également préféré une plus grande liberté car bien que le scénario aurait pu permettre une liberté semblable à celle d’un Ultima VI, les développeurs lui ont préféré une certaine linéarité à la Serpent Isle.

Parmi les autres défauts du jeu on regrettera l’absence d’emplois du temps pour les PNJs qui ont du être retirés pour des raisons techniques. La plupart restent confinés dans des zones assez petites et beaucoup de personnages important restent généralement immobiles vingt-quatre heures sur vingt-quatre. De même le nombre assez restreint de modèles fait que pas mal de PNJs se ressemblent d’une ville à l’autre, d’autant que les développeurs n’ont pas pris la peine de les différencier en changeant par exemple la couleur de leurs cheveux ou de leurs vêtements. Cela va certes bien plus loin que n’importe quel CRPG lambda, mais Ultima nous avait habitué à plus. Le niveau d’interaction reste assez élevé, surtout considérant qu’il s’agit d’un jeu 3D de 1999 (et qu’il reste malgré son âge bien plus poussé que nombre de RPGs actuels), mais même s’il offre bien plus de possibilités qu’Ultima VIII, il n’approche pas le niveau d’un d’Ultima VII.

Comme d’habitude, les musiques sont tout simplement grandioses mais là il faut bien avouer qu’Ultima IX nous offre sans doute la plus belle partition musicale de toute la série. Le compositeur George Oldziey signe une magnifique bande son orchestrale orientée autour de thèmes musicaux récurrents basés sur les principes de Vérité, Amour et Courage, et leurs opposées – Mensonge, Haine et Lâcheté. Ainsi chaque ville possède un thème particulier (avec une instrumentation propre) qui est dérivé des thèmes principaux selon la Vertu qu’elle représente. Mais tant que la Vertu n’est pas restaurée dans la ville alors un thème sombre dérivé des principes opposés l’illustrera et l’effet lorsque l’on remet les pieds dans une ville après la restauration d’une vertu est des plus saisissant. Les musiques de combat ne sont pas en reste avec des thèmes qui varient selon le type d’adversaire que l’on affronte. Reste ensuite quelques thèmes particuliers à certaines villes (comme Bucanner’s Den ou Ambrosia) et les reprises en version orchestrale de Rule Britannia et surtout de Stones dont Oldziey nous offre une réorchestration magnifique et mélancolique.

Enfin l’une des grandes nouveautés de cette épisode est que pour la première fois dans la saga le jeu est entièrement parlé et fur d’ailleurs l’un des tout premiers CRPGs avec des dialogues intégralement doublés. Ultima VIII aurait du en faire les honneurs, mais sa version CD-Rom ayant été annulée sans explications, c’est finalement à Ultima IX qu’en revient le privilège (du moins si l’on oublie le portage peu connu d’Ultima VI sur FM-Towns). Le doublage américain est malheureusement un peu mitigé. S’il reste très correct dans l’ensemble, il apparaît clairement qu’il y a un trop peu de comédiens pour le nombre de personnages. S’ils essayent tant bien que mal de déguiser leurs voix (souvent par l’utilisation d’accents pas toujours choisis judicieusement), le résultat n’est hélas pas toujours à la hauteur, d’autant que certains comédiens ont une fâcheuse tendance à “sur-jouer” leur texte. C’est tout de même loin d’être une catastrophe, et certaines voix sont tout bonnement superbes. Bill Johnson prête toujours sa voix au Gardien et nous offre là sa meilleure prestation, mais il faut également signaler les voix de Lord British et de Blackthorn respectivement incarnés par Ev Lunning et Doug Forrest, qui font tout simplement un travail magnifique. La voix de l’Avatar – un certain J.C Shakespere – n’est pas trop mal choisie non plus, même si on l’aurait imaginée moins grave (par certains côtés elle fait un peu trop voix clichée de “gros mec baraqué” et c’est bien dommage) et elle souffre hélas d’une interprétation inégale et de la qualité assez faible de ses lignes de dialogues. La comédienne Audrey Peterson qui incarne Raven, offre une bonne prestation également mais le scénario ne lui donne pas vraiment l’occasion d’être mise en valeur. Enfin j’ai juste envie de signaler la voix de Shamino, si merveilleusement bien choisie qu’elle en est tout bonnement saisissante. Bref ça oscille entre le médiocre et l’excellence, et globalement le doublage américain reste correct, mais on aurait voulus qu’il soit irréprochable… Ceci dit il serait déplacé de faire la fine bouche quand on se souvient de la qualité souvent médiocre des doublages des années 90, et s’il est vrai qu’il ferait pâle figure face à un doublage moderne – il reste paradoxalement dans le haut du panier pour son époque.

On signalera également la présence d’une dizaine de cinématiques toutes aussi belles les unes que les autres pour illustrer certains moments forts du jeu. Elles sont marquée notamment par un doublage anglais excellent en tout point et une musique atmosphérique de George Oldziey absolument fantastique.

Si Ultima IX n’est pas exempt de défaut, il reste un jeu tout simplement superbe qui au fond souffre tout simplement du même défaut d’Ultima VIII en son temps, c’est à dire un manque flagrant de peaufinage et de finition. Malgré cela il reste un des jeux les plus ambitieux de son époque, tentant une approche encore jamais vue dans le RPG. Au final il parvient à rester passionnant de bout en bout et même si son côté “Ultima IV Part II” et ses incohérences flagrantes font qu’il n’est pas la meilleure suite possible à Ultima VII, Ultima IX reste en tous cas une conclusion magnifique et appropriée à la Saga de l’Avatar et c’est là le principal.

 

  • Note sur la Version Française

Ultima IX a bénéficié, tout comme Ultima VII & VIII, d’une version française intégrale. Le bilan sur le doublage est on ne peut plus positif ; et il s’avère globalement de très bonne facture, surpassant même le doublage original malgré un pool de comédien un peu plus limité. Ainsi l’Avatar est doté d’une excellente voix – particulièrement bien choisie, elle colle parfaitement au personnage et s’avère bien supérieure à son homologue américain. Le Gardien est doté d’une très bonne voix également, qui si elle n’atteint toujours pas le charisme de Bill Johnson, colle parfaitement au ton du personnage (c’est en tout cas autre chose que celle d’Ultima VII & VIII). Raven se voit doté la voix de Céline Monsarrat – doubleuse officielle de Julia Roberts – qui lui va parfaitement, tout en restant très proche de la VO. Blackthorn est également doté d’une voix excellente; différente mais sensiblement comparable à l’originale en terme de qualité. Seul la voix de Lord British déçoit un peu; bien qu’elle soit honnête elle n’atteint malheureusement pas le charme de la voix originale d’Ev Lunning (anecdote curieuse au passage: tant dans la VF que dans la VO Lord British est doublé par le même comédien qu’Hawkwind qui prend une voix plus âgée). Globalement les autres personnages sont de bonne factures ; il y en a toujours certains dont le doublage laisse à désirer, mais dans l’ensemble c’est du très bon travail.

C’est plutôt au niveau de la traduction que le bât blesse. Passe encore que les traducteurs n’y connaissent rien en Ultima et choisissent des termes très discutables. Mais les incohérences qui parsèment les traductions sont un peu trop flagrantes. Ainsi tous les dialogues de l’Avatar (dont les traducteurs n’ont d’ailleurs pas tous compris qu’il s’agissait d’un TITRE et non du nom du personnage) semblent avoir été traduits hors contexte, et résultat il n’est pas rare de trouver de légères incohérences entre la question de l’Avatar et la réponse des PNJs. De même le termes varient grandement entre les textes (manuscrits, livres, objets) et les dialogues parlés ; montrant que les traducteurs n’ont même pas pris soin de faire correspondre leurs traductions. Bref la traduction est assez bâclée est c’est dommage, surtout quand on se souvient du celle irréprochable d’Ultima VIII – mais globalement cette version française est de bonne facture ; et la supériorité de la VO à son égard reste discutable.

 

  • Retour sur le développement “des” Ultima IX

Dû à son long développement, Ultima IX aura connu plusieurs changements radicaux durant sa conception menant un développement long et la réalisation du plusieurs versions très différente de l’ultime volet d’Ultima.

Le développement de la première version d’Ultima commença immédiatement après la sortie d’Ultima VIII. Elle était censée utiliser une version améliorée en S-VGA du moteur de Crusader (qui était lui-même une version modifiée de celui d’Ultima VIII). Développée sans la présence de Richard Garriott dans l’équipe, elle aurait été basée selon plusieurs sources sur un principe encore plus orienté arcade que son prédécesseur. Au niveau du scénario, l’histoire devait par contre se situer non point sur Britannia mais dans le monde d’origine du Gardien dont la fin de Pagan nous donnait un aperçu et prolonger ainsi la logique des deux derniers volets en nous amenant à découvrir encore une fois, un monde inconnu. On sait très peu de choses sur le scénario mais ce qui ressort de certaines interviews de Richard Garriott avant la sortie d’Ultima VIII indique qu’il devait se concentrer sur l’Ascension de l’Avatar en temps que Titan de l’Ether, un détail qui au final est devenu très secondaire aussi bien dans le scénario suivant que dans le jeu final. Le thème du jeu impliquait apparemment de devenir aussi puissant que le Gardien afin de le combattre sur son propre terrain mais sans pour autant se laisser dominer par ses nouveaux pouvoirs et sombrer du “côté obscur” en devenant un autre Gardien. Il assez clair également que cet Ultima IX ne devait nullement marquer la fin d’Ultima puisque Richard Garriott parlait déjà à l’époque d’Ultima X (qu’il imaginait jouable avec des lunettes de “réalité virtuelle”), précisant d’ailleurs qu’il s’agirait du dernier épisode numéroté de la série. Néanmoins lorsque Richard Garriott revient dans l’équipe de développement prés d’un an plus tard, il se retrouve peu satisfait de la direction que prends le projet. Ajouté à cela la mauvaise réception d’Ultima VIII, et cette première version se retrouve finalement bazardée et aucune image officielle n’aura jamais filtré de cette première mouture.

S’il ne reste rien de cette toute première version d’Ultima IX, la seconde – considérée à tort comme LA version d’origine – aura laissé au contraire une certain nombres d’éléments. Son développement commence donc peu de temps après dans une direction tenant compte des nombreuses critiques à l’égard d’Ultima VIII. Plutôt que de continuer l’exploration du Multivers, il est décidé de revenir à un Ultima Britannien traditionnel. Un nouveau scénario se déroulant sur Britannia est co-écrit par Richard Garriott, John Watson et Brian Martin avant d’être peaufiné par Bob White, un vieil ami de Richard Garriott qui vient tout juste de rejoindre l’équipe de développement. Cette nouvelle histoire marquait le retour de l’Avatar après son exil de Pagan sur une Britannia en proie au chaos et au bord de la guerre civile. Elle proposait déjà un moteur en 3D mais avec une vue isométrique semblable à celle d’Ultima VII (ou pour citer des exemples plus récents Dungeon Siege ou Neverwinter Nights) et devait marquer le retour du système d’équipe et de l’Avatar féminin qui avaient été abandonnés dans Ultima VIII. Le développement de cette version se retrouva néanmoins suspendu alors que l’équipe de développement fut transférée sur Ultima Online dont la réalisation prenait du retard. Mais alors que celui d’Ultima IX ne devait rester suspendu que quelques mois, le développement d’UO s’éternise et ce n’est qu’un an plus tard qu’il arrivera à son terme. Lorsque ce qui reste de l’équipe de développement d’Ultima IX revient sur le projet fin 1997, Origin se rend compte que le moteur de jeu est dépassé. De plus, beaucoup des développeurs ont alors perdu leur motivation pour continuer le développement. Aux dires du programmeur Mike McShaffry (qui fut chef de projet sur Ultima VIII) c’est d’ailleurs véritablement l’envol de la 3D à cette même période (avec l’apparition des premières cartes à base de 3Dfx) qui relança l’intérêt pour le développement. Pour cette raison notamment l’ancien moteur graphique fut donc changé au profit d’un tout nouveau moteur 3D et seul une partie de l’art et des cinématiques sera conservée. Le scénario sera également réécrit à deux reprises.

Il est difficile à dire où en était exactement le développement de cette version avant qu’elle ne soit bazardée mais en toute apparence il était assez avancé et on sait en tout cas que les cinématiques avait déjà été complétées car nombre d’entre elles, qui n’ont pas été adaptées au scénario final et n’apparaissant donc pas dans le jeu, furent utilisées dans différents trailers d’Ultima IX et même recyclées pour l’introduction d’Ultima Online Renaissance.

Un certain nombre de screenshots, aussi bien du jeu en lui même que des cinématiques, furent distribués, l’un d’entre eux contenant même une photo de la carte – hélas très petite même si on peut constater que Britannia était déjà dévastée dans ce scénario. Bob White accepta également de distribuer un résumé du “scénario original” quelques temps après la sortie d’Ultima IX (raison pour laquelle il en est souvent considéré à tort comme l’auteur). Autre détail intéressant : cette version d’Ultima IX fut pour un temps annoncée sur la console Playstation de Sony.

Ultima IX reprend donc son développement fin 1997 avec un tout nouveau moteur accéléré 3D doté d’une vue à la troisième personne. Accessoirement de nouveaux membres sont embauchés dans l’équipe dont un nouveau producteur du nom d’Ed Del Castillo. Le scénario est réécrit une première fois par ce dernier, marquant également un changement radical de direction dans l’optique d’attirer le grand public. Particularité de cette version : pour compenser l’absence de compagnons, il était prévue que le joueur incarne d’autres personnages que l’Avatar, notamment Raven, Shamino et même – Lord British ! On ignore quel était précisément son scénario, mais les quelques échos ayant circulé sur le net en étaient très négatifs. Apparemment ce fut l’une de ses divergences avec Richard Garriott car il n’était pas très intéressé à maintenir la tradition des précédents volets.

Finalement les conflits entre Del Castillo et Garriott à ce sujet, ainsi que la froide réception du jeu lors de l’E3 1998, amène Origin a revoir sa ligne directrice pour Ultima IX. Richard Garriott admettra même bien plus tard s’être laissé influencé et que cette nouvelle direction fut une erreur. Il reprend donc les choses en main et Del Castillo est alors remplacé par Seth Mendelson, également designer principal. Fan de longue date de la série, il aime tout particulièrement la seconde trilogie et décide ainsi avec Richard Garriott de réécrire le scénario dans une optique et une thématique proche de celle-ci. Cette réécriture offre donc une histoire moins complexe mais plus philosophique, centrée sur les Vertus et dont le thème principal est d’apprendre aux habitants de Britannia le véritable sens des Huit Vertus, et ce de façon à ce qu’ils n’aient plus besoin de l’Avatar pour les sauver. Bien que proposant un thème très différent du scénario de Bob White, ce dernier scénario en reprend tout de même nombre de détails (à commencer par les huit gigantesques Colonnes).

Malheureusement c’est sans compter sur Electronic Arts qui s’impatiente sur la sortie d’un jeu en développement depuis des années, et au final on sent bien que cette réécriture et ce nouveau changement de direction est une tentative désespérée de sauver les meubles. Aux dire même de Richard Garriott, peu de personnes à EA et même à Origin croyaient en Ultima IX ou lui portait intérêt. Et lors de la restructuration d’Origin vers le online suite au succès inattendu d’Ultima Online (qui signera la mort de nombreux projets dont notamment le sixième volet de la série des Wing Commander et Privateer 3), on sous-entend clairement que la seule raison pour laquelle Ultima IX ne subit pas le même sort est à cause de ses liens avec Ultima Online. Le comble !

Néanmoins le couperet finit par tomber, et Electronic Arts le dit clairement : Ultima IX sortira d’ici Novembre 1999 ou ne sortira pas. Les développeurs n’ont d’autre choix que de simplifier le jeu afin de respecter les délais. Si le monde est doté d’une taille confortable, on constate qu’il était prévu d’avoir des villes bien plus grandes. La preuve en est dans certaines anciennes cartes toujours présentes avec le jeu final et accessible via certaines manipulations. On y trouve notamment un village de Cove de grande taille au cœur des montagnes, bien loin de la simple maison du jeu final ou encore une pré-version de Britain avec un accès vers les égouts (qui ont au final été recyclés pour servir au Donjon Hythloth).

En plus de cela certains éléments du script se retrouvent peu à coupés, en parti par manques, mais également parce que les instructions étaient de ne pas trop référencer les anciens jeux, afin de ne pas faire ‘fuir’ le nouveau joueur potentiel. L’exemple le plus flagrant étant la nature du Gardien, celle présentée dans le jeu final n’étant en fait qu’une partie de la vérité puisqu’il était censé être relié à la Gemme de Mondain et aux Shadowlords comme je l’ai décrit dans ‘Histoire d’une Destinée’, créant ainsi l’élément reliant tous les épisodes de la série qui avait été promis de longue date. Et il apparaît ainsi clairement que le scénario final en dépit de ses qualités manque de peaufinage, la présence des voix digitalisées n’aidant pas non plus, puisque rendant impossible toute amélioration de dernière minute.

Au niveau du gameplay c’est le même problème, beaucoup de choses doivent être coupées afin de pouvoir achever le jeu dans les temps. Par exemple il était prévu que certains PNJs voyagent de ville en ville, ou encore que certaines personnes puisse réagir au temps qu’il faisait ou encore aux vêtements que vous portiez. Il était également prévu que l’on soit accompagné par certains personnages pour des quêtes spécifiques, chose qu’on devine aisément devant certaines quêtes du jeu impliquant une collaboration avec d’autres PNJs. Et surtout il était prévu que les PNJs aient des emplois du temps complets. Tout cela existe d’ailleurs dans le code, le jeu était capable de le gérer et on y trouve quelques exemples à certains moments (essayer par exemple de suivre le Maire de Britain après son discours au début du jeu), mais tout cela dût être coupés car l’équipe de développement n’avait tout simplement pas le temps de l’optimiser. Ne parlons pas non plus de la possibilité d’incarner un Avatar féminin, chose que l’équipe de développement souhaitait sincèrement pouvoir faire également. A la sortie du jeu, Seth Mendelson a prétendu qu’il aurait encore fallu six mois de développement à Ultima IX et on veut bien le croire. On notera également que lors du départ de Richard Garriott d’Origin en Mars 2000 ; plusieurs anciens développeurs de la société se sont déclarés peu surpris, affirmant que selon eux la seule raison pour laquelle il était resté aussi longtemps à Origin était parce qu’il voulait finir Ultima IX, dernier volet d’Ultima.

D’aucun pourraient se demander où je veux en venir avec cette longue description du développement d’Ultima IX. Tout simplement que tous les problèmes rencontrés par Ultima IX (mais également Ultima VIII et Serpent Isle qui en leur temps avait déjà été très bâclés !) se résument en deux lettres : EA, et que certains détracteurs ferait mieux d’y réfléchir avant de pointer le blâme vers les mauvaises personnes. Et à ce niveau je copierai juste un simple citation de Richard Garriott prononcée en 2001 alors qu’il revenait sur le développement d’Ultima IX.

“Ultima IX était dans son principe un grand jeu […] qui n’a pu sortir que pas la force de la volonté de quelques personnes. […] Je suis conscient de toutes ses limites, mais je suis fier de ce que nous avons accomplis.”

Et il y a de quoi ! Car en tout et pour tout Ultima IX est un jeu fantastique, qui n’a pu voir le jour que grâce au dévouement de talentueux développeurs, et qui malgré ses défauts proposait à son époque une expérience unique. Il est certains que si EA leur en avait laissé le temps, UIX aurait été le chef d’œuvre que tous les fans espéraient et c’est là toute la tragédie d’Ascension. Mais tant pis pour les fans déçus, UIX n’est pas le chef d’œuvre attendu, il se contente d’être un excellent jeu.

Enfin je pense qu’il est intéressant de noter à la fin de cette article que lors des derniers mois du développement d’Ultima IX, Richard Garriott avait émis plusieurs fois l’idée de faire un remake complet des huit premiers épisodes avec le moteur d’Ultima IX. L’idée aurait été de distribuer ces épisodes via Internet de la même manière que Wing Commander Secret Ops. Mais les ventes décevantes d’Ultima IX, et le départ de Richard Garriott d’Origin ont finalement mis un terme à tout ce projet.

A titre d’archives, voici quelques écrits concernant Ultima IX effectués à sa sortie.